Les Abd el Rassoul, trouveurs de tombes à Gournah sur la rive Ouest de Louxor.

La DB 320 : cachette des momies royales !

Pour certains, les Abd el Rassoul sont une grande et vieille famille très respectée à Gournah, sur la rive ouest de Louxor. Pour beaucoup d'autres, c'est un "clan" dont le nom est clairement associé au qualificatif de "pilleurs de tombes". Il semble important de raconter comment, à leur manière, d'une façon très "détournée", cette famille a participé à l'histoire de l'égyptologie. Sans eux, cette "cachette des momies royales" aurait-elle été découverte ? Sans eux, quelles chances avions-nous de connaître la momie - et par là même le visage - du grand Ramsès ? Sans eux, quelles probabilités avions-nous d'appréhender l'histoire de ces "momies errantes", transportées de tombe en tombe pour éviter la profanation dans les périodes troublées de la XXIe dynastie ? Sans eux, aurions-nous pu contempler toutes les merveilles entassées dans les salles 46 et 47 du musée du Caire ?

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Gournah aux XVIIIe XIXe siècles

Gournah en 2008.

Gournah se situe sur la rive ouest de Louxor, au delà des terres cultivables, là où commence le désert. Des maisons accrochées à la montagne thébaine, des habitants qui vivent sur et dans les tombes des nobles. Un emplacement au cœur de la nécropole : face aux temples des millions d'années, à côté des vallées des reines et des artisans, c'est aussi le passage "obligé" pour se rendre à la vallée des rois. La réputation du lieu, à cette époque, c'est le moins que l'on puisse dire, n'est pas bonne. Voici ce que rapporte Richard Pococke qui s'y rendit en 1743 "cette vallée est le refuge des rois et des voleurs". En 1769, James Bruce parle "de malfaiteurs hors la loi". Les savants de Napoléon, à leur arrivée, furent également accueillis à coup de carabine par les "brigands thébains". En 1830, alors qu'ils explorent les hypogées de Biban el Moulouk, Champollion et ses "argonautes" réussiront cependant à s'installer à "Kourna" dans un "palais de boue séchée" avant d'élire domicile dans les tombes ramessides.

Gournah en 1929Source photo : Web

Tombeaux- Abdel KournaSource photo : Web

Gournah en 1929Source photo : Web

Les Abd el Rassoul, qui "descendent en droite ligne des guerriers Horabat", habitent là. Leur maison est située dans l'axe de la grande colonnade du Ramasseum, à flanc de colline, non loin de celle de Wilkinson. Charles Wilbour, américain passionné d'antiquités, qui viendra à plusieurs reprises - notamment pour négocier l'achat de papyrus -, calligraphiera pour eux cette pancarte "La nouvelle maison blanche, propriété des Abd el Rassoul".

La nouvelle maison blanche, propriété des Abd el Rassoul.
Dans de nombreux ouvrages on peut lire qu'elle est supposée être construite sur la tombe attribuée à la famille de Pinedjem Ier, un important prêtre d'Amon de la XXIe dynastie.

1871 : la découverte de la cachette des momies

L'histoire de la découverte de la cachette des momies royales a été racontée, embellie, ou dramatisée au fil des années et des narrateurs. Difficile de restituer une juste vérité et de faire la part des choses entre les différents récits sur ce sujet …

Le cirque rocheux de Deir el Bahari  - Au centre la tombe DB 320.
L'histoire débute derrière le cirque rocheux de Deir el Bahari : Mohamed, Ahmed, Hussein et Soliman, quatre frères de la famille Abd el Rassoul, cherchent l'une de leurs chèvres égarée ou selon une autre version, chassent le chacal. Ils trouvent un orifice dans le rocher de Chaak el Tablyah. Un caillou lancé retombe très loin. Nul doute : une tombe ! Une corde et les voilà descendant dans les entrailles de la montagne. A la lueur de bougies, ils découvrent des trésors, empilés pêle mêle : momies, sarcophages, papyrus, vases d'albâtre, ouchebtis, … déposés là à la hâte. Ils décident de sceller ce secret, de n'en rien dire. Pendant 10 ans, ils ne s'y rendent que lorsqu'un pressant besoin d'argent se fait ressentir et écoulent des pièces de façon très irrégulière.

Puit d'entrée de la tombe DB320.Photo : antikforever.com

Dr Zahi Hawass dans le puit.Photo : drhawass.com

Couloir d'environ 70m de la tombe.Photo : antikforever.com

De "l'américain" à "M. Moustache"

Début 1881, un riche américain, Mr Baton, remonte le Nil en dahabieh et visite Louxor. Collectionneur, il cherche à acquérir des antiquités. On lui parle alors d'objets vendus "sous le manteau" ou devrais-je dire "sous la galabieh". Il tombe sous le charme d'un magnifique papyrus qu'il achète dit-on sans même discuter le prix. Il le fait ensuite expertiser en Europe où il explique les circonstances de cet achat.

Dans le même temps, un colonel écossais du nom de Campbell achète lui aussi un grand papyrus. En excellent état de conservation, d'une qualité remarquable, il est écrit en hiératique et semble provenir de la même source.

Ces histoires arrivent jusqu'à Gaston Maspero, directeur français du service des antiquités d'Egypte, irrité que ces pièces exceptionnelles aient quitté le pays. Irrité, mais surtout intrigué : ces papyrus proviennent du matériel funéraire de souverains de la XXIe dynastie (env. 1000 av. JC) dont les tombes ne sont pas répertoriées. Depuis 1874, il est régulièrement informé de l'apparition sur les marchés du Caire, ou de Suez de divers objets (papyrus principalement, mais aussi ouchebtis, bijoux,…), dont la provenance lui est inconnue. Ces antiquités ne provenant pas de fouilles légales, elles sont donc le signe que plusieurs tombes ont été trouvées parallèlement … ou bien encore la preuve de la découverte d'une tombe collective.

Gaston Maspero
Il décide alors d'enquêter de façon subtile : l'un de ses étudiants en égyptologie dispose de réels talents d'acteur : il est chargé de se faire passer pour un acheteur.

Sous le nom de "Monsieur Moustache", il arrive à Louxor en mai, avec un portefeuille bien rempli. Il se fait rapidement une réputation "écumant" le bazar, à la recherche d'antiquités. A Louxor, tout se sait vite : sa bonne appréciation des pièces, sa largesse et sa générosité sont rapidement connues jusqu'à la west bank !

La corniche et le temple de Louxor - Début XXème siècle.Photo de l'ouvrage de Mr Max Karkégi "L'Egypte d'hier en couleurs".

L'histoire dit qu'un soir, alors qu'il se promène, il est tiré par la manche et entraîné dans un coin sombre où on lui propose une statuette funéraire. Refusant cette façon d'agir, il le fait sentir tout en expliquant que cette pièce avec laquelle il joue négligemment - bien qu'il l'ait immédiatement authentifiée de la XXIe dynastie - ne l'intéresse pas. Le vendeur donne alors des précisions sur son authenticité, et assure qu'il a bien d'autres pièces à proposer. M. Moustache propose alors un marché : il n'achètera la statuette qu'à la condition de voir les autres objets sur-le-champ.

Traversée du Nil, chevauchée à cheval vers Gournah … et les voilà frappant à la porte des frères Abd el Rassoul. L'envoyé de Maspero s'aperçoit vite qu'il a en face de lui des personnes rusées et qu'il devra "jouer serré" pour ne pas être démasqué ! Il lui semble important de se montrer ni trop pressé ni trop empressé.

D'autres rendez-vous sont fixés au cours desquels de magnifiques objets lui sont proposés : ils proviennent de tombes des XIXe et XXe dynasties. Plus aucun doute pour lui, sa mission est accomplie, il a découvert ce qu'il venait chercher !

Ou bien était-ce Charles E. Wilbour un ami de Maspero ?

Charles Edwin Wilbour

 

Une autre version, un peu moins "rocambolesque", rapporte que Maspero aurait demandé à Charles E. Wilbour qui suit ses cours d'égyptologie à Paris de l'aider à mettre fin à se trafic. De sa carrière politique mouvementée à New York, il a conservé l'art de la discussion et des pourparlers. Le scenario ne diffère que légèrement : arrivé à Louxor, Wilbour se serait rapproché de Mustapha Aga, vice-consul d'Angleterre et de Belgique à Louxor.

C'est ainsi qu'il aurait été mis en contact avec les Abd el Rassoul auxquels il aurait acheté de nombreux papyrus avant de les confondre.

 

Juillet 1881 : la découverte de la découverte

Le service des antiquités a maintenant les preuves que les Abd el Rassoul sont au cœur du trafic et prévient la police. Les frères sont immédiatement arrêtés et conduits à Qenah la ville la plus importante de la province. Et là, "gros temps" pour eux, mais ils nient tout en bloc !

Daoud Pacha le moudir, a la réputation de torturer durement les inculpés. Leurs crânes sont rasés, les coups de "kurbach" frappent leur dos, la plante de leurs pieds est brûlée. Pendant leur deux mois d'emprisonnement, ils ne reconnaissent rien, aucun aveu ! Parallèlement les notables et les villageois de Gournah arguent de leur honnêteté, prennent leur défense … Le maire, le "omda" de Gournah, affirme que "les Abd el Rassoul n'ont jamais fouillé et ne fouilleront jamais, qu'ils sont incapables de détourner le moindre objet d'antiquité, et, à plus forte raison de violer une tombe royale, …".

A droite : Ahmed Abd el Rassoul
A noter que le rôle du vice-consul Mustapha Aga, avec lequel ils semblent avoir fait commerce d'antiquités auparavant - et qui les avaient assurés de sa protection - demeure plus sombre ou du moins plus incertain …

Quoi qu'il en soit, aucune charge ne pouvant être retenue, ils sont relâchés …

Marchand de momies - Circa 1880

 

L'histoire aurait pu s'arrêter ainsi … Mais 4 semaines après, une dispute violente secoue la famille. Ahmed qui a été particulièrement maltraité lors de son arrestation estime qu'il mérite une part plus importante sur la vente des objets. Les autres ne l'entendent pas ainsi … Mais très curieusement, il semblerait que ce soit Mohamed qui se soit rendu secrètement chez le moudir à Qena pour faire des aveux. Sous couvert d'impunité - et du versement d'une somme de 500 livres anglaises - il révèle le secret familial conservé pendant 10 ans : la découverte d'une tombe collective derrière Deir el Bahari !

DB 320 = plus de 50 momies de pharaons !

 

Maspero indisponible, c'est Emile Brugsch (surnommé le "petit Brugsch", il est le frère d'Heinrich, un égyptologue allemand reconnu) qui est dépêché sur les lieux. Accompagné par Ahmed Effendi Kamal assistant au musée du Caire, c'est lui qui supervise la "re-découverte" de la DB 320 connue comme "cachette des momies royales".

Emile Brugsch

Deir el Bahari - 1894

Visite de Gaston Maspero (au centre) avec Mohammed adb el Rassul (en blanc)

Le 5 juillet 1881, en présence de Mohamed Abd el Rassoul, dans la chaleur écrasante des rochers de Deir el Bahari, les pierres qui avaient été disposées pour masquer l'entrée sont enlevées. Au moyen d'une corde, ils descendent dans la tombe. Onze mètres plus bas, dans la première pièce, à la lueur de leurs torches, 3 sarcophages apparaissent. L'un contient la momie de Sethi Ier (cette momie, Belzoni l'avait désespérément cherchée, en octobre 1817, lorsqu'il avait découvert la tombe du pharaon dans la Vallée des Rois). Offrandes funéraires, coffres, vases canope, tout se trouve dans un désordre indescriptible. Fébrile, Brugsch poursuit vers une autre chambre. Dans cette pièce de 80 m, il décompte une quarantaine de momies dont celles des pharaons les plus célèbres : Ahmosis qui chassa les Hyksos, Thoutmosis III, Ramsès II qui régna pendant plus de 60 ans, Aménophis Ier dont la momie lui apparaît encore ornée des guirlandes fleuries de son enterrement. Sans oublier celle d'Ahmès Nefertari, la grande reine, divinisée et adorée à Deir el Medineh … Là encore, des sarcophages, des paniers, des coffres de bois, des canopes, des offrandes, la tente funéraire de la reine Isistemkheb.

Nofretiriqueen ahmose nofretari - 1570-1546

Objets de la tombe DB320

Masaharta - 1054-1046

Bien longtemps auparavant, aux environs de 1100 avant JC (XXIe dynastie), tout a été déposé là à la demande du grand prêtre Pinnedjem II qui dirigeait alors la région thébaine. L'époque était troublée et de nombreuses exactions étaient commises dans la Place de Vérité. Respectant et vénérant les anciens pharaons, il voulait éviter le pillage et la profanation de leurs demeures d'éternité. C'est ainsi qu'il eut l'idée de les re-inhumer dans sa propre tombe. Des annotations ont été portées sur les cercueils ou les bandelettes des ses momies surnommées les "momies errantes". Sur les bandelettes de la momie de Ramsès II on peut lire ce texte "Année 15, 3e mois d'akhet, 6e jour - Jour où l'on a transféré l'osiris du roi Usermaatre-setepenre (Ramsès II). Vie, Prospérité, Santé ! …" On apprend également que certaines momies ont transité par d'autres tombes, dont celle de Sethi Ier.

Zangaki - La momie de Ramses II

Alors qu'il tente de faire un inventaire de cette découverte, Brugsch est pris de vertiges ! Est-ce la chaleur ? Ou plus sûrement le fait de contempler ces pharaons illustres après 3000 ans de silence ? Une idée est cependant très claire : il faut vite protéger ces trésors et pour lui, ils ne le seront que lorsqu'ils seront évacués et mis en sécurité au musée du Caire ! Alors que les égyptologues d'aujourd'hui travaillent avec respect et répertorient toutes les infos avant de déplacer les objets, en un temps record (de 2 à 10 jours selon les récits), 300 fellahs sont embauchés pour déménager la cachette.

Un cortège funéraire … et des momies traitées comme du "poisson séché"

Encadré par la police, c'est un long cortège funéraire qui descend de Deir el Bahari vers les berges du Nil. Les anciens pharaons sont arrachés à leur montagne, à leurs ténèbres, à leur obscurité, pour être acheminés vers Le Caire. Il faut parfois 12 hommes pour porter les lourds sarcophages ! Brugsch tient la liste des objets qui sortent de la cachette.

C'est un long cortège funéraire qui descend de Deir el Bahari ...

Le 14 juillet le bateau à vapeur du musée "Le Menshieh", chargé de sa précieuse et insolite cargaison quitte Louxor. On raconte que, massée sur les rives du Nil, une foule immense accompagna les dépouilles des anciens pharaons : les hommes tirant des coups de fusils, les femmes échevelées (comme dans les scènes de pleureuses représentées sur les murs des tombes) se frottant le visage et la poitrine avec du sable tout en poussant des cris de deuil.

Il est relaté aussi que toute cargaison arrivant au Caire devait être taxée selon un barème précis. Aucun traitement spécial n'était prévu pour le transport de  momies … aucune rubrique non plus … si bien que l'employé mit fin à son casse-tête en les déclarant comme …'"poisson séché" !

Les momies des pharaons appartenant à diverses époques : la Seconde période intermédiaire et le Nouvel Empire d'une part et la Troisième période intermédiaire d'autre part, font alors leur entrée au musée de Boulaq. Elles seront ensuite transférées au musée du Caire, place el Tahir.
 

C'est ainsi que l'Egypte, le monde de l'égyptologie, et par delà le monde entier s'est enrichi de la connaissance, parfois même de l'existence de ces grands personnages du passé.
 

Bien des égyptologues aujourd'hui rêvent de telles découvertes pour passer à la postérité !!!

Marie Grillot

Marie Grillot

 

 

Une autre découverte : Bab el Gassus

En guise de remerciement à "sa contribution à l'égyptologie", Mohamed Abd el Rassoul se vit proposer le poste de chef d'équipe de fouilles à Thèbes. "S'il met à servir le musée la même adresse qu'il a mise longtemps à le desservir, nous pouvons espérer encore quelques belles trouvailles". Propos prémonitoires et justifiés de Maspero ! C'est effectivement lui qui, fin 1891, guidera deux égyptologues français Eugène Grébaut (qui a succédé au premier mandat de Maspero à la tête du service des antiquités) et Georges Daressy son assistant, vers une autre cachette, à l'est de Deir el Bahari. Sous une couche de sable, un dallage qui dissimule l'entrée d'un puits … Huit mètres plus bas une première porte, onze mètres plus bas, une seconde porte : c'est ainsi qu'a été découverte "Bab el Gassus". A l'intérieur de cette tombe de la XXIe dynastie se trouvent 160 sarcophages et momies de grands prêtres d'Amon du temple de Karnak, de divines adoratrices, et de leurs familles. Cette nouvelle découverte, Jacques de Morgan (qui succéda à Grébaut à la tête des antiquités), en fit profiter différents musées d'Europe et d'Amérique : il préleva en effet un certain nombre de momies afin de leur en faire don.

Bibliographie :
Carter Howard - La fabuleuse découverte de la tombe de Toutankhamon
Ceram C.W. - Des dieux, des tombes, des savants
Dauber Maximilien - Un village au bord du Nil
Ehlebracht Peter - Sauvez les pyramides
Maspero Gaston - Rapport sur la trouvaille de Deir el Bahari - Institut Egyptien - bulletin n° 2 - 1881
Montet Pierre - Isis ou à la recherche de l'Egype ensevelie
Reeves Nicholas, Wilkinson Richard H. - The complete valley of the kings
Rommer John - La vallée des rois
Vercoutter Jean - A la recherche de l'Egypte oubliée
En 1969, l'histoire de la famille a été racontée de façon magnifique par Shadi d'Abdel Salam dans son film "Night of counting the years" ("La momie" en français)

Pharaon n°5L'article de Marie Grillot est également paru dans le n°5 de Pharaon magazine.

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