LES COLOSSES DE MEMNON - TEMPLE D'AMENHOTEP III
Arrêt obligé des cars se dirigeant vers la Vallée des Rois, ces statues méritent mieux que la "station photo" proposée (ou imposée) par les guides. (14) sur la carte des vallées. (Voir la rubrique CARTES LOUXOR).
Les Colosses sont les plus grands vestiges du temple funéraire édifié pour Amenhotep III sur la rive gauche. Les dimensions de ce temple -selon le schéma ci-joint- n'avaient rien à envier aux autres édifices du même genre. Le choix de son emplacement est un peu curieux, car lors des inondations du Nil ,il semblait flotter sur l'eau. Certains y voient une allégorie rappelant le "Noun" primordial, c'est à dire la masse liquide d'où émergèrent les premiers dieux et toute vie, mais allez savoir...
Mesurant environ 20m de haut, les colosses, figures d'Amenhotep III, encadraient la porte du pylône d'entrée du temple. Leur poids respectif est estimé à 1300 tonnes. Amenhotep III est représenté coiffé du Nemes. Si comme moi vous avez eu la chance de les survoler, peut-être avez vous remarqué une cavité sur le dessus du Nemes. Les Egyptologues pensent qu'une autre coiffure -peut-être le Pschent, double couronne- y était insérée.
Cette profusion de couronnes était très en vogue sous Amenhotep III.
Le roi est assis sur un siège sur le côté duquel est gravé le "Sema Tawy" (Union des deux terres). Contre ses jambes, les deux femmes de sa vie : Mountemounia, et Tiyi.
S'il ne reste quasiment rien du temple, c'est que le site, déjà ruiné par le tremblement de terre de l'An 27 A.C. A servi de carrière au siècle dernier.
Au dos des colosses, le cartouche du roi où vous lirez Neb Mâât Rê, et aussi la mention "Sa Rê" (fils de Rê) transcrit en hiéroglyphe par le canard (Sa) et le disque solaire (Rê), et plein d'autres choses encore si vous avez de bons yeux...
Pour mémoire (mais vous le savez sûrement déjà), les colosses n'ont de Memnon que le nom. Rien à voir avec Pharaon ! Strabon, historien et géographe grec, rapporte que le tremblement de terre cité plus haut provoqua des fissures sur les colosses, de l'épaule au bassin. Dès lors, à chaque lever du soleil, la statue nord se mit à émettre des sons. Ce phénomène devint "l'oracle de Memnon" (roi mythique d'Ethiopie, fils de l'Aurore), et suscita des pélerinages pour les grecs et les romains de l'époque. Septime Sévère, en remerciement à Memnon, fit restaurer les statues qui -les ingrates !- cessèrent alors de parler
Petit conseil d'amie : avant de quitter Amenhotep III, traversez la route, juste en face des colosses, et allez siroter un jus de fruit (ou déjeunez, la cuisine est excellente) à l'ombre des tonnelles du "Memnon Restaurant" d'où vous pourrez évoquer tout à loisir, et avec une très jolie vue sur lui, le charme de ce pharaon dont les yeux en amande ont dû émouvoir plus d'une dame du Palais...
Amenhotep a régné de 1386 à 1329 A.C., soit il y a environ 3400 ans...
Carte d'identité de ce pharaon , avec deux principaux de ses cinq noms, et petit cours d'égyptien ancien :
IMENHOTEP HEQAOUASET : "Amon est satisfait, Prince de Thèbes"
C'est le nom qui lui a été donné à sa naissance, accompagné d'un qualificatif
IMEN = Amon (ça, c'est facile) HOTEP : satisfaction, contentement
HEQA = Prince (par extension : heqa est le nom d'un sceptre en forme de crochet tenu très souvent par les pharaons dans leurs représentations)
OUASET : nom ancien de Thèbes
NEB MÂÂT RÊ : Rê est le maître de Mâât
C'est son nom de couronnement, que l'on retrouvera en particulier dans ses cartouches.
Neb : hiéroglyphe en forme de corbeille dont une des traductions est "maître"
Rê : pas de problème, Mâât non plus, je suppose
Nous abordons avec Amenhotep III l'apogée culturelle de l'Egypte ancienne.
38 années de règne, commencées à l'âge de 12 ans, qui sont 38 années de paix.
Amenhotep III est le fils de Thoutmosis IV, connu entre autres par la stèle du songe qu'il a fait placer entre les pattes du Sphinx, et de Moutemounia, une épouse secondaire. Il épouse TIYI, fille de Youya (son père) et Touya (sa mère). Tiyi a des frères, dont AY, qui deviendra roi plus tard.
Amenhotep III et Tiyi auront plusieurs enfants, dont le très célèbre Amehotep IV, (Akhenaton); qui épousera Nefertiti. D'autres épouses : Gilukheba et Tadukheba, princesses mitaniennes. Autre épouse encore : une fille du roi de Babylone et (au diable l'avarice) quelques princesses asiatiques faisant partie des "cadeaux" diplomatiques des rois de ces pays
Le règne d'Amenhotep fut particulièrement prestigieux, tant sur le plan artistique qu'architectural, Amenhotep, fils de Hapou, dont le nom fut mentionné dans le précédent article sur la fête d'Opet, étant concepteur et réalisateur. Nous lui devons une bonne partie de Thèbes, telle que nous la voyons actuellement. Sur l'autre rive, ne reste plus du temple funéraire que les "Colosses de Memnon", qui encadraient la porte d'entrée, et sont en bien mauvais état. Pour la statuaire : un millier de statues répertoriées dont 150 de Sekhmet (déesse lionne), et 250 statues royales. Certaines sont gigantesques, tels les colosses précités, ou le couple royal trônant maintenant au fond du rez de chaussée du Musée du Caire, et que l'on voit dès l'entrée.
Il y eut aussi beaucoup de scarabées commémoratifs, au nombre d'environ 200, répertoriés en 5 séries :
- la chasse aux lions.
Il est dit que Pharaon en aurait tué 110.. Ainsi sont exaltés la force et le courage du roi (même si l'on peut supposer qu'il a été un peu aidé...)
- le mariage où l'on retrouve le nom de Tiyi et de ses parents.
- Le creusement du lac, évènement qui eut lieu en l'an 30 du règne. Ce lac se trouvait près d'Akhmin, pays d'origine de Tiyi .
- la chasse au taureau sauvage (an II du règne, le roi n'avait que 14 ans..) où il aurait tué 96 de ces bestiaux. Evènement fort symbolique, si l'on se souvient que le titre de "Taureau Puissant" est l'un de ceux dévolus aux Pharaons.
- Arrivée de Giloukheba en Egypte avec ses 317 servantes (ça en fait, des cotisations URSSAF !)
Photo de droite :Amenhotep III court devant Min. Il tient le "Htp" que l'on peut traduire par "gouvernail" (musée presque pas visité non loin de M. Habou.) Couleurs d'origine ! Photo de gauche : Amenhotep coiffé du khepresch (Musée de Berlin).
Quid de la politique extérieure ?
Les infos nous viennent des "Lettres d'Amarna" 382 tablettes cunéiformes trouvées au cours des diverses fouilles chez Akhenaton, qui couvrent une durée de 30 ans et vont d'Amenhotep III jusqu'à Toutankhamon. Ce ne sont pas des archives, mais un petit vestige des correspondances diplomatiques, divisées en deux parties : les lettres entre le roi et les grandes puissances reconnues par l'Egypte et réciproquement : Babylone, Assyrie, Mittani, Arzawa (actuelle Cilicie) et Alashiya (Chypre), et celles provenant d'Egypte à destination des princes locaux, palestiniens et syriens.
Le style et la phraséologie changeaient, selon à qui s'adressaient les courriers : ainsi, les rois des grandes puissances avaient droit à des "mon Frère", et autres courtoises dénominations, les autres étaient traités comme de simples sujets.
Et que disaient ces lettres ?
8O% consistaient en tractations et marchandages sur la dot des "épouses diplomatiques". On veut bien accepter une épouse étrangère, mais pas à n'importe quelles conditions, et, par contre, pas question d'envoyer une princesse égyptienne vers Babylone, comme l'aurait souhaité son roi !
Le seul intérêt politique est avec le Mitanni, qui, en conformité avec le traité de paix existant avec l'Egypte, procure à cette dernière les informations pouvant lui être utiles.
Les lettres "politiques" font état de problèmes avec les vassaux du Nord et du sud, qui sans doute auraient bien voulu retrouver leur indépendance. La partie nord de l'Asie sera perdue sous Akhenaton, la partie sud restera sous domination égyptienne jusqu' à la fin du Nouvel Empire.
Texte de Christiane Duquesne
Temple d'Aménophis III : ... un troisième colosse de Memnon en perspective !
Les fouilles dirigées par Hourig Sourouzian sur le site du temple d'Aménophis III (les colosses de Memnon) mettent à jour de nombreuses statues, stèles, sphinx et de nombeux objets.
Pendant des années, du temple d'Aménophis III semblaient ne subsister que les colosses de Memnon bien assis sur leur trône, à la limite des terres cultivables. Avec le premier pylône (aujourd'hui disparu), face à l'est, ils marquaient l'entrée monumentale de l'ensemble du sanctuaire.
Comment imaginer qu'il était le plus beau, le plus vaste des temples de Thèbes ouest ? Qu'il était fait de pierres provenant des plus belles carrières, que les matériaux les plus riches le composaient : électrum, argent, or ? Il est ainsi décrit par pharaon "Un temple splendide a été fait pour lui sur la rive ouest de Thèbes, une forteresse d'éternité pour toujours, en belle pierre blanche de grès. Ce temple est entièrement revêtu d'or, son pavement est orné d'argent, toutes ses portes sont en électrum, construit très large, et très grand et parfait à jamais".
Il était entouré d'un mur d'enceinte, s'étendait sur plus de 600 mètres, les cours succédant aux pylônes. Un dromos le reliait au Nil et il était une étape importante lors des processions de la fête de la vallée.
Pourquoi et comment sa splendeur s'est-elle fanée au fil des années ? "Il faut sans doute imaginer que les pierres du temple ont été remployées pour d'autres constructions et si les visages des colosses sont mutilés, on ne peut qu'incriminer les martelages systématiques de l'époque amarnienne"... Puis un terrible tremblement de terre (en 27 BC) et les inondations du Nil l'ont fortement détruit et fragilisé. Il n'a pas, non plus, échappé aux pillages du XIXe siècle. A cela se sont ajoutés la remontée de la nappe phréatique, et enfin un incendie en 1996 ...
C'est à cette époque que le Dr Hourig Sourouzian a réussi, avec l'aide de collègues, à convaincre la communauté internationale de l'importance du site et à le classer parmi les cent monuments les plus menacés du monde sur la World Monuments Watch en 1998-1999.
Depuis 1998, une équipe européenne-égyptienne travaille sur "The colossi of Memnon and Amenhotep III temple conservation project". Cette équipe pluridisciplaine, dirigée par l'extraordinaire égyptologue Hourig Sourouzian, déploie son savoir, son savoir-faire, et son énergie, pour redonner sa dignité et sa grandeur à ce temple.
C'est enfin, le terme des siècles de souffrances qu'il a endurées. A Kom el Hettan, le temple des millions d'années d'Aménophis III, encore dénommé Aménophium, reprend vie, ressuscite. Le chantier de fouilles est très étendu, les sites d'excavation nombreux et une grande activité règne parmi les ouvriers ... Il semble que chaque endroit est propice à découvertes : ici des bases de colonnes fasciculées, ici un sphinx, ici des stèles, et des statues par dizaines, ...
Des milliers de touristes s'arrêtent pour faire la même photo des deux statues, en quartzite rouge d'Héliopolis, hautes de 19 m, avec en fond, au loin, la cime de l'occident...
Or, à chaque saison, la perspective vers la montagne thébaine se modifie, la "physionomie" du temple change avec l'apparition de nouvelles statues et ou de nouveaux monuments ... Et maintenant plus encore puisqu'un troisième colosse est presque totalement remonté. Il s'agit de l'une des statues de la deuxième paire, légèrement plus petite, qui se trouvait devant le second pylône. Son visage est encore recouvert d'un plastique blanc. Il devrait être bientôt dévoilé.
Sur le site, les découvertes s'enchaînent, le sable accepte de rendre ce qui était enfoui, et l'histoire du monument se précise ... Le passé se conjugue chaque jour au présent.
On se souvient, en 2006, de la découverte de plus d'une dizaine de Sekhmet de granit noir. Il y a peu "la mission égypto-européenne a découvert des blocs de quartzite qui appartiennent aux parties manquantes des colosses de Memnon nord. Les blocs découverts sont des parties du bras droit et de la ceinture royale décorée du colosse", puis "des parties de la couronne royale, ainsi que d'autres parties des bases des deux colosses ».
Et puis, plus récemment, la découverte de la statue d'Iset "haute de 1,70 m, elle faisait partie d'une sculpture de 14 mètres représentant Amenhotep III creusée dans de l'albâtre, et qui était à l'entrée (du sanctuaire) de Naos", a précisé Hourig Sourouzian. Cette impressionnante sculpture représente le pharaon de la XVIIIe dynastie assis sur son trône, les mains sur les genoux. Sa fille se tient debout entre ses jambes, portant une perruque et tenant un collier dans sa main droite. Il s'agit de la première représentation de la princesse seule avec son père."
Depuis la route, en attendant que le site soit enfin ouvert aux visiteurs, on constate à chaque saison l'importance du travail réalisé. Certes, ce qui reste à accomplir est gigantesque ... mais la passion des égyptologues est à la hauteur... Et il n'est pas impossible d'imaginer que, dans quelques années, ils nous restitueront le temple tel que l'avait pensé le grand architecte Amenhotep fils d'Hapou.
"Lorsque je suis passée devant les Colosses de Memnon, samedi 8 mars, il y avait un groupe qui était guidé sur le site par Hourig Sourouzian ... en personne !!!
Comme je les ai enviés tous ces privilégiés, qui se trouvaient au cœur de cet endroit si riche en découvertes ... et en compagnie de celle qui depuis des années s'attache à lui redonner vie !
J'étais loin de m'imaginer qu'un formidable ami avait déjà entrepris des démarches pour que je puisse, moi aussi, avoir la possibilité de faire cette visite ...
Dès le lendemain, après une petite demi-heure d'attente au service des antiquités, près du ticket office ... la réponse tant attendue arrive : "c'est d'accord, un inspecteur des antiquités vous y attend tout de suite ..."
A peine arrivée, l'inspecteur me conduit directement ... vers le Docteur Hourig Sourouzian ...
Une rencontre avec une personne exceptionnelle sur un site exceptionnel : quel merveilleux moment, 30 minutes de pur bonheur !!
Des explications claires, précises, un intérêt sincère pour les questions posées ... un aparté intéressant sur Labib Habachi, et même des questions personnelles sur les différents séjours, sur la perception actuelle du tourisme, ...
... et ce qui est incroyable, en fin de visite, un remerciement pour l'intérêt porté à son travail et une invitation à revenir ...
Je reste sous le charme de l'endroit bien sûr, ...
mais je reste aussi sous le charme de cette rencontre ... et plus encore depuis que j'ai lu cet article sur sa vie (en lien ci-dessous). Je comprends mieux ce qui m'a le plus touchée en elle : c'est cette quête et ce respect de la mémoire ; cette phrase, répétée plusieurs fois concernant sa mission "redonner sa dignité à ce temple" ...
... de quoi m'avoir modestement envie de rédiger l'article ci-dessus."
Texte et Photos Marie Grillot
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