Comment une vie peut en cacher une autre. Fellah et cuisinier à Louxor
Fils de la terre, Hussein continue de s’occuper de son champ et de ses bêtes. Une vie rurale qu’il met entre parenthèses quand il s’embarque comme cuisinier sur un luxueux navire.
Le tourisme et le monde rural, deux univers opposés ? Pas si simple. A Louxor, certains passent sans cesse de l’un à l’autre. Rencontre avec Hussein, qui partage son temps entre navire de croisière et travail de la terre.
Il est fort comme la terre ; sa peau est brunie par le soleil.Hussein porte sur lui l'empreinte du Saïd, la Haute-Egypte. Et sa vie incarne l’ambivalence de cette région où l’émergence du tourisme n’a pas effacé les traditions rurales. Car Hussein est de ces habitants de Louxor qui partagent leur vie entre deux univers distinctsmais entremêlés. Paysan, il quitte plusieurs jours par semaine ses champs verdoyants de la rive ouest pour les cuisines d’un bateau de croisière. A 31 ans, c'est un homme prolixe, le visage fendu d'un sourire qui ne le quitte jamais. “J’ai passé mon enfance sur les terres dema famille et étudié l'agriculture. Puis je suis allé apprendre mon métier de chef à Alexandrie, àMansoura et au Caire”, raconte-t-il. “Le tourisme a enrichima culture, je suis devenu ouvert, plus souple, plus tolérant...” Jeune marié, il habite depuis un an au deuxième étage de la maison familiale avec sa femme Iman, âgée de 22 ans. A huit heures du matin, le chef affiche une tenue décontractée, jeans, tee-shirt, casquette vissée sur la tête. Après avoir mené sa vache paître au champ, il attrape un taxi collectif sur le bord de la route. Une heure plus tard,Hussein est dans sa cuisine flottante, sur le bateau. Il endosse son uniforme blanc de chef garniture.
Chef garniture ? “Je sculpte des petites statues de beurre et avec les légumes, je fais des bouquets de fleurs”, explique Hussein. “Dans la cuisine, je me sens comme un artiste”, s'enthousiasme-t-il. Le chef artiste pétrit le beurre pour le rendre plus souple. De son couteau ciselé, il commence à lui donner forme. Quarante-cinq minutes plus tard, la décorationmaîtresse pour le déjeuner est achevée : c'est une tête d'âne. Pour le dîner, Hussein fera un bouquet de fleurs avec des courgettes, des carottes, des tomates et des concombres. Un travail minutieux qui exige de la patience et beaucoup de temps. “Les touristes aimentmes décorations. Parfois, ilsme demandentmême de rester avec moi pour voir comment je m’y prends”, relate Hussein.
A trois heures de l'après-midi, une fois le travail en cuisine achevé, Hussein rentre chez lui pour déjeuner avec sa femme. Le bateau ne partira en croisière que demain. “J'aidema femme à préparer le repasmais elle reste toujours la reine de notre cuisine", avoue-t-il en souriant. Une heure plus tard, Hussein enfile un nouveau costume, sa gallabeyah. Et part s’occuper de sa terre. Pour y accéder, il faut traverser un chemin étroit que longe un canal bordé de dattiers. Sur le trajet, Hussein récolte les saluts des habitants du village. “Hé, viens boire un thé à la maison", l'apostrophe sa cousine. Puis passent Ahmed, un petit garçon sur son dromadaire, puis Abdallah et son petit-fils sur une charrette débordant de cannes à sucre.
“La terre, c’est la sécurité”.
Après deux kilomètres, la terre de Hussein se dessine, verte et fertile. Ses yeux sont brillants de joie, comme un père devant ses enfants. Le jeune paysan caresse ses plantes, il les observe attentivement pour s’assurer que tout pousse bien : “Je cultive la terre quatre fois par an, des légumes, de la canne à sucre et de la luzerne”, précise le jeune homme, qui possède également une vache, un âne et quelques canards. Hussein saisit sa faucille et s’en va récolter de la luzerne pour ses animaux. “La terre est très importante pourmoi. C’est la sécurité. Le tourisme, ce n'est pas stable. Après les attentats de Louxor en 1997, je suis resté deux ans au chômage, comme la plupart des habitants ici. C'est la terre qui m'a sauvé la vie”, assure Hussein. La journée de travail est finie. Le jeune homme passe une partie de la soirée à boire le thé et à discuter avec ses amis dans un café populaire, le seul de son petit village. Hussein reste attaché à ses deux vies, avec, nuance-t-il, une préférence pour le monde des touristes étrangers. “Pour moi, c’est une porte qui me permet de rencontrer les autres et d’apprendre plus".
Asmaa Abd El Fattah
et Shahinaz Abdel Salam - Le Calame - Juin 2008.
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